It is the things you cannot see coming that are strong enough to kill you.

« Tu te crois que c'est à cause de moi, à cause de nous ? » Je chuchote, par peur d'être entendue. J'ai peur de l'avenir, peur de ce que nous allons devenir. Je distingue Carrie dans la pénombre de notre chambre. Ma jumelle. Nous ne nous ressemblons pas, mais nous avons ce lien unique. Elle est l'aînée de deux minutes, et ça se ressent. Du haut de nos huit ans, elle me rassure la plupart du temps. On ne se quitte que rarement. Nous avons les mêmes amis, les mêmes hobbies. Aussi loin que je me souvienne, nous avons toujours été ensembles, elle, Papa, Maman et moi. J'entends Papa au téléphone, se disputant avec Maman. Maman est partie, il y a plusieurs semaines déjà. Chaque jour, j'attends son retour. J'attends en vain. Mais, je persiste. J'espère qu'elle finira par revenir. Parce qu'elle est ma maman, et que j'ai besoin d'elle. Papa dit qu'elle est partie avec un ami, Patrick. Je me souviens encore du jour où Papa l'a amené à la maison. Un de ses collaborateurs. Maman qui l'invitait régulièrement, ne tarissant pas d'éloges sur lui. Puis, de ce jour où Papa est venu nous chercher à l'école. D'ordinaire, c'était Maman. Il nous a dit que Maman était partie, qu'elle n'avait rien emmené avec elle, pas même une petite cuillère. Qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'il était là. « Ne dis pas n'importe quoi. C'est stupide. Alors, arrête de te tracasser. » J'aimerais pouvoir faire cela. Arrêter de me tracasser. Mais, je me dis que j'aurais pu empêcher cela. Papa a mal, je le vois sur son visage, même s'il essaie de le cacher lorsqu'il nous voit, lorsqu'il sait qu'on est dans la même pièce. Je n'ai pas peur qu'il parte, je sais combien il nous aime, et combien il ne survivrait pas à notre disparition. J'ai peur que Maman revienne pour nous arracher de ses bras. Qu'ils se battent pour nous, et que cela se finisse mal. Et en même temps, j'ai envie qu'elle se batte pour nous, Maman. Parce qu'elle est notre mère, et qu'il semble impossible qu'elle ne nous tourne le dos du jour au lendemain, si ? « Et si tu te trompais ? » C'est bien la première fois que cette éventualité me traverse l'esprit. Car, Carrie est celle qui a le plus d'assurance de nous deux, elle est le petit chef, comme disait Maman. Du coup, on a envie de la croire, parce que ses propos sont teintés de tellement de conviction ... « Et si je n'avais pas fait ce qu'il fallait ? Peut-être que je n'ai donné aucune raison à Maman de rester. Peut-être que je n'en donne pas à Papa, et qu'il finira par partir, à cause de moi. » Je me dis que si Maman est partie, c'est parce que je ne la mérite pas. Et, que Patrick lui offre une autre vie. Et qu'un jour, Papa partira. Qu'il ne viendra pas nous chercher à l'école, qu'un jour, la maison sera vide. Et, nous serons seules. « Papa ne partira jamais. Il n'est pas comme ça. » J'ai envie de croire Carrie. Vraiment. Mais, à présent, je ne suis plus sûre de rien. Du jour où Maman est partie, j'ai commencé à douter. « Tu pensais que Maman partirait, peut-être ? » Je suis un peu dure. D'ordinaire, je suis plutôt docile, j'accepte ses explications, me réconfortant avec. Pas aujourd'hui. Il est temps de voir par moi-même. Et, même si j'ai du mal à distinguer son visage dans la pénombre, je sais qu'elle est choquée, qu'elle ne trouve rien à redire. Parce que, personne ne se doutait de ce qui allait arriver. Le drame de ma vie, dirai-je plus tard. Soudain, je repousse ma couette. « Qu'est ce que tu fais ? » D'ordinaire, je me serais arrêtée, je me serais expliquée, puis j'aurais attendu sa réaction avant de décider si je me lançais ou pas. Pas ce soir. « T'occupe ! » Je pousse la porte de la chambre. J'entends Papa faire les cent pas, au téléphone avec Maman. Finalement, il raccroche. J'attends une minute, peut-être deux, avant de trottiner jusqu'à lui, assis dans le salon, soupirant. En me voyant, il se redresse, affichant une mine inquiète. « Tu es malade ? » Je secoue la tête. « Papa, fais-moi un câlin. » Je vois son visage se radoucir, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il m'attrape, me calant sur ses genoux pour me serrer dans ses bras de toutes ses forces. Au fond, mon père est le grand amour de ma vie. Je sais que l'homme que j'épouserai plus tard sera comme lui.

Extraordinary things are always hiding in places people never think to look.

En rencontrant Neal, je savais que j'avais trouvé le bon, un homme qui correspond à mes idées. Quelqu'un avec qui je me sens bien, avec qui j'ai envie de croire en l'avenir, à toutes ces choses. Un homme qui me fait rire aux éclats, qui me rassure, me donne confiance en moi. C'est lui qui m'a convaincue plus d'une fois de ne pas tout envoyer valdinguer, alors que je planchais sur mes derniers examens pour entrer au barreau. J'ai toujours eu peur d'aimer, de trop aimer un homme en dehors de mon père. Peur de souffrir comme ce dernier a souffert à cause de ma mère. J'ai attendu son retour pendant quatorze ans. Elle a fini par revenir dans nos vies. Neal m'a soutenue, m'a convaincue de lui parler, malgré ma colère. Cela n'a pas été facile. Ça m'a fait mal, très mal. Papa nous a élevées, Carrie et moi. Carrie veut renouer les liens avec elle. Moi, pas. C'est trop dur. Je sens un baiser sur mon épaule nue. Neal. Nous deux, étendus au milieu des draps, dans son appartement. « A quoi tu penses ? » Je souris, me collant contre lui. En effet, je pense, je réfléchis. Beaucoup, ces temps-ci. Il me rappelle Papa. J'ai toujours dit que je finirais par rencontrer un homme comme lui, et que je ferais tout pour que ça marche. « A l'avenir. » Je me retourne, pour enfin faire face à mon petit ami. Je me souviens avec nostalgie, de notre première rencontre. Dans ce bar, je l'ai fait tourner en bourrique, lui lançant des regards, pour finalement l'envoyer paître lorsqu'il a voulu m'offrir un verre. Puis, il était reparti, furieux, voulant attraper un taxi. J'étais passée sous son nez, essayant de lui voler le taxi. Il était hors de question de le partager en tout bien tout honneur. Nous nous sommes disputés sur le trottoir, jusqu'à ce qu'il me fasse taire d'un baiser et que le chauffeur manifeste son mécontentement. Depuis ce jour, nous ne nous sommes plus quittés. J'aime sa façon de sourire, et de me regarder. Alors, peut-être que nous n'avons pas un sou, que nous débutons tous les deux nos carrières, que nous sommes sûrs de rien, mais quand je suis avec lui, je me sens bien. Je me sens moi. « Puisque tu en parles ... Ma chérie, tu sais que je suis quelqu'un de dur. » Je me sens refroidir d'un coup, mon rythme cardiaque s'accélère, j'ai le cœur qui se serre. J'ai peur de ce qu'il pourrait me dire. Alors, il tend le bras, vers la table de chevet. Je ferme les yeux, prête à enchaîner chaque coup verbal, chaque mot étant une souffrance. « Maintenant, il faut que tu choisisses. » Je me force à ouvrir les yeux, pour voir Neal en face de moi, de nouveau à sa place, un écrin dans la main. Je sais très bien ce que sait, et je ne redescends pas sur terre, au contraire. C'est avec une main tremblante que je saisis cette petite chose, bredouillant avant même de regarder ce qu'il y a l'intérieur. « J'ai choisi. J'ai besoin de toi. » Alors, un magnifique sourire se dessine sur son visage. Malgré toute l'assurance qu'il dégage, il n'était pas parfaitement sûr de ma réponse. « Je t'ai acheté un truc en plaqué, je sais que tu mérites mieux ... » « Tais-toi, elle est magnifique. » Je sais que nous n'avons pas un dollar en poche, ni lui, ni moi. Je m'en fiche, de cette bague. Certes, j'aime les bijoux, je n'aime pas les trucs en plastique. Mais ça, c'est ... C'est nous. Je l'enfile, contemple ma main. Elle est très bien. Neal m'attrape, je lâche un petit cri de surprise, avant d'éclater de rire. « Alors, la future Madame Johnson, que dirais tu de consommer cette union dès maintenant ? » Nous rions tous les deux, comme des fous. Je n'ai même pas le temps de répondre que je sens ses baisers dans mon cou.

Something still exists as long as there's someone around to remember it.

« Il est magnifique. » J'ai du mal à y croire. Tout ceci semble tellement irréaliste tant ça en est beau. Je tiens mon fils dans mes bras. Notre fils. Jamais, je n'aurais pensé pouvoir créer quelque chose d'aussi beau, d'aussi extraordinaire. Cet enfant, l'enfant de Neal, je l'ai tellement voulu. Alors, oui, je n'ai peut-être que vingt-trois ans, peut-être qu'il est tôt pour être mère, que nous ne sommes même pas mariés depuis un an, mais voilà, ce bébé, il était voulu. Voilà bien une chose qui ne pourra jamais nous être reprochée, c'est de ne pas avoir fait un enfant de l'amour. Je pourrais le tenir contre moi éternellement. Mais, ce n'est pas seulement mon fils, c'est le fils de Neal. Alors, je le laisse me l'arracher des bras, pour finalement les contempler. Les deux amours de ma vie. Qu'ils sont beaux. Beaux comme des anges. Je me sens heureuse. Jamais je n'aurais cru pouvoir atteindre un tel degré de bonheur. Je souris, peut-être un peu béatement. « Pour le prénom, on fait comme on a dit ? » Neal releva la tête, berçant notre fils dans ses bras. Il hocha la tête, avant de reporter toute son attention sur le bébé. Billy. Petit être aux cheveux blonds collés sur son crâne, mais promis à un bel avenir, j'en suis certaine. « Tu vérifies qu'il est bien de toi, c'est ça ? » dis-je, un grand sourire aux lèvres, constatant qu'il ne quittait des yeux son fils. Alors, j'entends son rire cristallin, si frais, si réel. Il a l'air tout aussi heureux que je le suis. Nous sommes une famille, à présent. Ce n'est que le commencement. « J'étais quasiment sûr d'être son père, jusqu'à ce que je constate à quel point il est beau ! » continua t-il, se prenant au jeu. Une nouvelle fois, nous éclatons de rire. J'ai toujours eu peur de l'avenir, depuis l'âge de huit ans, lorsque je me suis rendue compte que tout ne se passait pas toujours comme prévu, que l'imprévu pouvait survenir. Durant toute ma grossesse, je me suis dit que c'était une erreur, que je serai une mauvaise mère. Que je n'étais pas faîte pour ces choses-là, que je ne serai au mieux le reflet de ma propre mère. Maintenant, mes craintes semblent s'être dissipées, pour faire place à la joie. « Douterais-tu de moi ? Je crois surtout qu'il te ressemble et que tu te sous-estimes. » Finalement, toujours le bébé dans les bras, il s'assit au bord du lit, si bien que nous sommes collés tous les trois. Neal passe un bras autour de ma taille, je me laisse aller contre son épaule, contemplant Billy. « Regarde, il a ton nez. » « Mais il a tes yeux, tu vois bien, la couleur comme la forme ... » « Je dis que c'est à toi qu'il ressemble ... » « Ah non ! C'est ton portrait craché ! »