La tête entre les mains, Nola sentait qu'elle allait fondre en larmes. C'était trop dur pour elle, elle ne parvenait pas à gérer ce qui se passait dans sa vie et ce, même si on lui disait toujours qu'elle était forte. Elle avait été forte pendant longtemps, mais maintenant, elle avait l'impression désagréable de ne plus savoir se tenir sur ses jambes, comme si ces dernières avaient lâché prise ou bien l'avaient abandonnée. Son mari n'était toujours pas rentré, comme à son habitude, et elle n'eut qu'un coup d'oeil en direction de l'horloge avant de soupirer, calant une nouvelle fois sa tête dans ses mains. Il n'était que vingt et une heure, Cillian avait encore le temps de rentrer mille fois avant qu'elle ne décide finalement d'aller se coucher. Elle l'aimait encore et c'était bien là tout le problème. Si seulement elle avait pu partir sans se sentir coupable, si seulement elle avait pu partir toute seule, sans cette plaie béante qu'elle sentait naître dans le creux de son ventre lorsqu'elle y pensait. Elle subissait beaucoup, mais elle n'oubliait pas que les dernières semaines avaient été éprouvantes pour lui aussi, qu'il avait dû réapprendre certaines choses parce que ses muscles s'étaient atrophiés pendant son coma. Elle savait tout ça, mais ce n'était pas la raison qui la retenait encore auprès de lui. Elle serait partie, n'aurait jamais supporté cette situation si ce n'était qu'elle l'aimait encore de tout son coeur.

Et puis, sans réfléchir à ce qu'elle s'apprêtait à faire, la jeune femme quitta son appartement, referma et verrouilla la porte derrière elle avant de rejoindre sa voiture. Instinctivement, elle savait où elle se rendait et elle se mordit la lèvre lorsqu'elle se gara tout près de l'habitation de Finn. Elle prit une grande respiration, posa son regard dans le miroir intérieur de la voiture afin de s'assurer qu'elle était présentable avant de quitter enfin l'habitacle. Ce soir-là, Nola n'était vêtue que d'une fine robe blanche d'été et elle se maudit de n'avoir pas pris avec elle un blouson. La brise nocturne était fraîche, mais elle se dirigea rapidement vers l'entrée, cogna quelques petits coups alors qu'elle refusait, à chaque fois, d'utiliser la sonnette. C'était devenu une habitude parce que le bruit strident l'avait toujours énervée. Elle espérait franchement ne pas le réveiller et elle se mordit la lèvre, patiente.

Si Nola s'était révélée beaucoup plus calme après le trajet en voiture, elle ne sut pas contenir son chagrin lorsque le regard de son ami se posa dans le creux du sien et elle sentit les larmes couler sur ses joues sans même qu'elle n'ait le temps de les retenir. Elle se jeta dans ses bras en enfouissant son visage dans son cou, secouée de tremblements que les sanglots accentuaient. Elle avait bien quelques amis, en dehors de Finn, mais ils étaient aussi les amis de Cillian et devant eux, elle s'efforçait de rester forte. Tout le temps. Parce qu'ils avaient appris, eux aussi, à laisser partir Cillian à la guerre. Parce qu'ils avaient appris à vivre avec son absence lorsqu'il avait été dans le coma. Parce qu'ils l'avaient soutenue malgré tout et qu'elle avait refusé leur aide, à toutes les fois. Elle ne voulait pas qu'on la prenne en pitié et pourtant, cette fois-là en était une de trop et elle s'était lamentablement effondrée dans les bras de Finn. Elle n'arrivait même pas à lui dire qu'elle était désolée d'arriver comme ça, sans prévenir, qu'elle était désolée tout court d'avoir trempé un peu son tee-shirt de ses larmes et elle se contenta de se blottir dans ses bras en fermant les paupières, d'où s'échappaient encore quelques perles salées.

En règle générale, Finn n’avait pas vraiment d’horaires fixes, et pour cause : il était désormais son propre patron, et avait tellement à cœur de faire vivre sa boutique et de s’en sortir qu’il ne comptait pas les heures qu’il passait derrière les fourneaux. D’ailleurs, même lorsqu’il rentrait chez lui, il n’était pas rare de le voir se remettre au travail au gré des idées et des recettes qui l’inspiraient sur le moment. Le travail, c’était sa manière à lui d’avancer en oubliant son passé, en oubliant tout ce qui l’avait mené jusqu’ici. Mais bien plus que ça encore, son boulot était une véritable passion qu’il se plaisait à assouvir chaque jour. Conscient de la chance qu’il avait d’exercer ce métier de pâtissier, Finn ne laissait rien au hasard, quitte à mettre entre parenthèses sa propre vie privée. Il était donc relativement tard lorsque le jeune homme décida enfin de fermer sa boutique pour rentrer chez lui. Il aurait pu passer la nuit entière dans sa cuisine comme il l’avait souvent fait mais de temps en temps, il se plaisait aussi à profiter d’une soirée de détente seul chez lui. Installé sur son canapé devant une série policière complètement bidon, Finn venait de terminer le contenu de son assiette lorsqu’il entendit frapper à la porte. Intrigué par la présence d’un visiteur à une heure aussi avancée, il se leva et fit un crochet par la cuisine pour y déposer son assiette vide avant de filer dans l’entrer pour y ouvrir la porte.

Quelques instants plus tard, le pâtissier se retrouva nez-à-nez avec son amie Nola. Amie qui avait en premier lieu été une conquête avec laquelle il avait fini par tisser des liens bien plus profonds, ce qui expliquait qu’ils continuent de se voir encore aujourd’hui. Ravi de la recevoir, Finn commença par afficher un sourire mais réalisa en l’observant que quelque chose clochait. Et sans qu’il n’ait réellement le temps de faire ou de dire quoi que ce soit, la jeune femme se projeta contre lui tout en éclatant en sanglots. Un brin décontenancé, Finn referma néanmoins ses bras sur elle, instinctivement. « Nola ? Qu’est-ce que… Il est arrivé quelque chose ?! Qu’est-ce qu’il y a ? » questionna-t-il d’un ton empli d’autant d’inquiétude que de curiosité. Sans attendre sa réponse, il referma la porte derrière eux d’un vague geste du bras avant de resserrer son étreinte sur Nola, s’autorisant même à glisser une main sur ses cheveux pour tenter de la consoler. « Hey, calme-toi… Explique-moi… » murmura finalement Finn en se détachant légèrement de la jeune femme pour essayer de capter son regard, et d’y voir plus clair dans cette situation plus que floue pour le moment.  

Nola n'avait pas voulu fondre ainsi en larmes dans ses bras, mais lorsqu'il lui avait ouvert la porte, lorsqu'il s'était trouvé juste devant elle, elle avait perdu toute contenance. Elle avait à peu près réussi à contrôler ses émotions lorsqu'elle s'était trouvée dans la voiture, mais l'apparition d'un visage connu et aimable avait suffit à la faire craquer et elle s'était jetée dans ses bras, en pleurs. Elle ne parvint pas à lui répondre lorsqu'il la questionna en la serrant dans ses bras, le corps secoué de sanglots, mais elle finit par se calmer peu à peu grâce à ses caresses dans ses cheveux et à ses mots qu'elle savait sincères, qu'il voulait rassurants. Elle ne comprenait pas pourquoi elle craquait maintenant alors qu'il y avait maintenant des semaines qu'elle endurait ça, mais elle se dit simplement que c'en était trop, qu'elle n'arrivait plus à gérer cette nouvelle vie qui lui était tombée dessus et surtout, ce nouveau mari qui, s'il se rappelait l'avoir beaucoup aimée, ne l'aimait plus.

« Je comprends plus, Finn. Je suis tellement perdue. Il est là, il s'est réveillé du coma et il est là, mais il est tellement différent. C'est plus le même, je le reconnais plus et c'est tellement difficile à accepter. C'est encore mon mari, c'est encore le même homme physiquement, mais il a tellement changé. Je comprends plus rien. » La voix entrecoupée de sanglots alors qu'elle débitait à la chaîne toutes ces informations, sans vraiment prendre conscience du fait que son discours pouvait paraitre décousu aux yeux d'un interlocuteur externe à sa situation. Elle n'avait jamais parlé de Cillian à Finn puisqu'elle considérait que c'était un sujet qu'elle n'était pas vraiment en droit d'aborder avec lui. Elle avait trompé Cillian avec Finn et elle n'avait jamais osé lui dire qu'elle était mariée, sans vraiment savoir pourquoi. Lorsqu'elle était revenue ici avec Cillian, elle avait retiré sa bague de mariage afin qu'on ne lui pose pas de question, glissant généralement l'anneau autour d'une chaine afin de la mettre à son cou lorsqu'elle pouvait le cacher sous ses vêtements. Elle n'aurait jamais su répondre aux questions des gens qu'elle croisait et qu'elle n'avait plus revus depuis longtemps.

Lentement, elle avait relevé des yeux brillants de larmes dans le creux des siens. « Je suis tellement désolée. » avoua-t-elle en essuyant délicatement ses yeux. Désolée d'être arrivée comme ça, sans prévenir. Désolée d'avoir fondu en larmes dans ses bras. Désolée d'avoir trempé son tee-shirt alors qu'elle avait enfoui son visage dans son cou.  

Finn s’était attendu à tout sauf à ça. A une heure pareille, jamais il n’aurait imaginé se retrouver nez-à-nez avec Nora, d’autant plus qu’il venait de la trouver en pleurs. Totalement décontenancé, il ne put rien faire d’autre que refermer la porte, et l’enlacer n tentant de la calmer, même si ce n‘était pas chose facile puisqu’il ne savait rien de ce qui l’amenait jusqu’à lui. Soucieux de ne pas la brusquer, il resta immobile dans l’entrée afin de lui laisser le temps de se calmer, et de s’expliquer dès qu’elle en aurait l’envie ou le courage. Pendant ce temps, tout un tas de scénarios s’échafaudèrent dans l’esprit du pâtissier, qui renonça néanmoins à tenter de deviner ce qu’il se passait après quelques instants de réflexion. Il se connaissait. Finn allait encore s’imaginer des choses horribles qui au final, seraient bien loin de la réalité et des tourments de son amie. Alors, il préféra la laisser s’exprimer sans l’assaillir de questions. Après tout, si elle était venue jusqu’à lui, c’était bien pour en parler non ? Elle ne pouvait décemment pas s’effondrer dans ses bras de la sorte, pour ensuite le laisser dans l’incompréhension la plus totale en lui cachant ses problèmes.

Et question révélations, Finn ne fut pas déçu ! Après quelques minutes de silence, la jeune femme se lança enfin dans un long discours… ; pour le moins incompréhensible : « Je comprends plus, Finn. Je suis tellement perdue. Il est là, il s'est réveillé du coma et il est là, mais il est tellement différent. C'est plus le même, je le reconnais plus et c'est tellement difficile à accepter. C'est encore mon mari, c'est encore le même homme physiquement, mais il a tellement changé. Je comprends plus rien. » Le pâtissier resta interdit quelques instants, puis fronça les sourcils, as certain d’avoir tout compris. De quoi parlait-elle exactement ? Avait-il rêvé, ou avait-elle bien évoqué son « mari » ?! Finn avait un peu l’impression de débarquer d’une autre planète et d’avoir manqué plusieurs années de la vie de Nora. En même temps, ils ne se connaissaient pas depuis si longtemps que ça, et l’un comme l’autre avait sans doute encore bien des secrets non avoués. Mais de là à cacher l’existence d’un mari ! Soudain, le jeune homme fut comme prit de panique. En effet, Nora était avant tout une de ses conquêtes, ce qui signifiait qu’ils avaient partagé bien plus qu’un verre le jour où ils s’étaient rencontrés. Et elle avait attendu tout ce temps pour l’informer de l’existence de son mari ?! Sonné, Finn n’eut pas le temps de répliquer quoi que ce soit que la jeune femme reprit : « Je suis tellement désolée. » D’ordinaire, son regard brillant aurait éveillé chez le pâtissier de  la compassion, qui se serait certainement traduite par un énième geste tendre à son égard. Mais cette fois, l’incompréhension était telle qu’il resta immobile, les sourcils froncés. « Attends, je… je ne suis pas sûr de comprendre là. De qui tu parles ? Est-ce que… t’es mariée ?! » Finn était bien conscient d’avoir saisi le sens de ses propos et pourtant, il espérait encore qu’elle les démente et qu’elle efface tous ses doutes d’un revers de main, pour ne pas qu’il devienne l’homme avec qui elle avait trompé son mari. Ce statut éveillait en lui tellement de souvenirs désagréables, qu’il n’était pas certain de pouvoir se contrôler s’il s’avérait qu’elle avait effectivement « omis » de lui parler de son mariage.

La jeune femme mit quelques minutes avant de comprendre ce qui se passait. La situation n'était pas claire et le jeune homme qui se trouvait devant elle avait l'air tout aussi perdu. Sur le coup de l'émotion et du moment, elle avait cru l'avoir déjà mis au courant, pour Cillian, mais elle prenait peu à peu conscience qu'elle ne lui avait jamais rien dit. Parce qu'elle avait toujours habilement détourné les questions et évité le sujet qui lui faisait du mal. Elle aurait dû lui en parler, elle aurait du tout lui dire des mois auparavant, mais elle n'avait pas eu le courage d'énoncer la présence d'un mari dont elle ignorait le sort final. Lorsque Cillian était encore dans le coma, les médecins lui rappelaient qu'il pouvait en sortir indemne, ou bien, gravement handicapé, mais qu'il pouvait aussi ne jamais se réveiller. C'était à la suite de l'une de ces terribles discussions où on lui proposait les différentes options qui s'offraient à elle - dont celle de mettre un terme à la vie de son mari - qu'elle s'était retrouvée dans un bar, au même endroit que Finn, afin de boire sa douleur et d'effacer sa peine dans les bras d'un autre.

« Je ... » Les yeux baissés sur l'une de ses mains alors qu'elle essuyait de l'autre ses yeux humides de larmes, elle ne savait pas quoi répondre alors qu'il la mettait exactement dans cette position où elle ne souhaitait pas être. Pourtant, elle était celle qui s'était effondrée dans ses bras en lui racontant tout un tas de choses qu'il ne comprenait pas.

Et puis, doucement, elle hocha la tête, prit une grande respiration avant de lever des prunelles remplies de larmes vers lui. « Je suis mariée. » murmura-t-elle avant de se mordre la lèvre, l'incitant silencieusement à ne rien dire pour ne pas l'interrompre. Elle n'avait pas le choix, elle devait tout lui dire d'un coup parce qu'elle ne réussirait jamais à tout lui dévoiler s'il l'arrêtait. « Mon mari était dans le coma depuis plus de six mois lorsque je t'ai rencontré. Je ...  » Elle devait prendre sur elle afin de ne pas éclater en sanglots, mais elle se devait d'être forte. Finn méritait bien toutes les explications du monde et même s'il prenait mal ses révélations, même s'il lui demandait de partir parce qu'il ne comprenait pas la réaction qu'elle avait eue, quelques mois plus tôt, elle se devait de tout lui dire. Elle se devait d'être honnête, pour une fois, et de ne pas mentir sur les problèmes qui l'attaquaient de front. Elle ferma les yeux quelques secondes, se mit à jouer avec la petite chaînette de son bracelet. « Je sais que j'aurais dû t'en parler plus tôt, mais ... Je n'y arrivais pas. » avoua-t-elle dans un murmure, un petit soupir venant s'échapper de ses lèvres alors qu'elle disait pourtant vrai. Elle aurait pu fondre en larmes en évoquant simplement le prénom de Cillian et ce n'était pas ce qu'elle avait voulu. L'espace d'une nuit, elle avait voulu oublier cet homme qui n'était plus le sien et qui ne le serait sans doute plus jamais.

Et pourtant, elle ne regrettait pas. Elle ne regrettait pas cet instant qu'elle avait passé en sa compagnie, même si la situation n'expliquait pas sa tromperie. Elle ne regrettait pas parce que sur le moment, elle avait cru que c'était la bonne chose à faire. Pour elle. Pour ne pas sombrer et pour s'éloigner un peu de cette ambiance sinistre de la chambre d'hôpital au sein de laquelle elle passait la très grande partie de ses soirées et de ses nuits parfois. Et puis, avec Finn, tout lui avait semblé tellement simple et elle avait décidé de se laisser aller, de s'abandonner à une étreinte étrangère pour la toute première fois depuis des années.

La phrase de Nola, aussi innocente soit-elle, avait éveillé en Finn toute une foule d’interrogations, de doutes et d’inquiétudes qu’il n’avait jamais soupçonnés. Jusqu’à présent, la relation qu’il entretenait avec la jeune femme n’avait jamais connu aucun orage, et ce même s’il lui était pour le moins inhabituel de fréquenter ses conquêtes plus de quelques jours. Avec elle, tout avait été bien différent et suite à leur première rencontre, ils s’étaient liés d’une amitié aussi sincère que surprenante. Du moins, c’était ce que le pâtissier pensait jusqu’à cette révélation qui venait de faire l’effet d’une bombe. Pour l’heure, elle n’avait encore rien avoué mais son discours l’avait déjà trahie. En effet, Finn n’avait eu aucun mal à comprendre le sens de sa phrase et pourtant, il se fendit de poser la question qui le turlupinait et à laquelle il pensait malheureusement déjà avoir la réponse. Tout à coup, Nola parut extrêmement gênée, faisant presque ressentir une sorte de culpabilité au jeune homme qui ne cilla pourtant pas, et attendit sagement de plus amples explications. « Je suis mariée. » murmura-t-elle alors, confirmant du même coup toutes les craintes de Finn qui entrouvrit la bouche, mais se reprit rapidement pour lui laisser le temps de terminer. « Mon mari était dans le coma depuis plus de six mois lorsque je t'ai rencontré. Je ...  » Décidément, elle allait de révélation en révélation et à cet instant précis, Finn eut envie de la stopper, pas certain de vouloir en savoir plus. A ses yeux, elle était peut-être en train de tout gâcher et au fond, il n’avait pas spécialement envie de la perdre. Et encore moins de la laisser seule dans l’état où elle se trouvait.

Alors qu’elle continuait, Finn ne lui accordait malgré lui plus aucune attention, trop occupé à se répéter en silence ce qu’elle venait de lui dire. Premièrement, elle était mariée et il l’avait ignoré jusqu’ici. Mais pire encore, son mari était plongé dans le coma le soir où ils avaient couché ensemble. Sans pouvoir s’en empêcher, le jeune homme transposa immédiatement ce scénario à sa propre histoire et en y pensant, sa mâchoire se serra. Bien sûr, il n’avait jamais été marié à son ex-petite amie qui l’avait trompé. Il n’était pas non plus plongé dans le coma au moment où tout cela était arrivé. En somme, la situation n’était guère comparable, mais la trahison restait la même. L’homme qui partageait la vie de Nola avait certainement ressenti la même douleur que lui quelques années auparavant. Furieux et complètement paumé à la fois, Finn releva les yeux vers sa voisine non sans froncer les sourcils. Incapable de prononcer la moindre phrase cohérente dans les premiers instants suivant le monologue de Nola, il poussa finalement un soupir puis questionna : « Pourquoi ? Pourquoi t’as fait ça Nola ? Je… » Finn secoua la tête en lâchant un nouveau soupir, témoin de son incompréhension totale. « Est-ce qu’il le sait ? Je veux dire… Est-ce qu’il est encore dans le coma ? Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Plusieurs mois auparavant, lorsque la jeune femme s'était abandonnée dans les bras de Finn, elle n'avait jamais cru qu'ils resteraient amis et qu'elle lui dévoilerait toutes ces informations un jour. Et puis, elle lui avait balancé tout ce qu'elle avait sur le coeur sans vraiment se rendre compte du fait qu'elle ne lui avait encore jamais rien dit. Elle avait eu peur de le perdre, peur qu'il décide de couper tout lien avec elle si elle lui révélait la raison pour laquelle elle s'était trouvée seule dans le bar, ce soir-là. Elle ne lui avait pas encore tout dit et pourtant, elle voyait bien dans son regard qu'il était déçu. Déçu d'elle et de son comportement. Déçu qu'elle lui ait caché une information aussi capitale pendant plusieurs mois. Elle n'avait tout simplement pas eu le courage de lui parler de Cillian, mais elle regrettait désormais de ne pas l'avoir fait plus tôt. Il y avait trop d'informations d'un coup pour Finn et elle n'était pas vraiment en état de tout lui expliquer correctement, un peu perdue alors qu'il avait l'air tout autant désemparé qu'elle. Si les rôles avaient été inversés, elle ne savait pas trop comment elle aurait pu réagir et elle pouvait comprendre qu'il soit en colère contre elle. Elle regrettait son silence passé, mais maintenant, c'était trop tard et elle dut soutenir son regard sans sourciller, bien malgré elle.

« Je suis vraiment désolée, je ... Je regrette de ne pas t'en avoir parlé, mais je ne regrette pas ce qui s'est passé entre nous, même si ça signifie que ... » Elle ne parvint pas à mettre les mots exacts sur sa pensée, mais elle sut qu'il comprendrait qu'elle parlait de Cillian. Elle avait baissé le regard, fermé les yeux alors qu'elle se mordillait légèrement la lèvre, effaçant d'un revers de main les larmes qui coulaient encore sur ses joues. L'espace d'une nuit, il lui avait fait oublier son mari. L'espace d'une nuit, elle s'était abandonnée dans ses bras et elle s'était sentie bien. Ce n'était pas une excuse, bien sûr, puisqu'elle n'avait pas le droit de le placer dans une situation aussi inconfortable, mais elle n'avait pas vraiment pensé aux conséquences de son geste et aux sentiments qui seraient les siens lorsqu'il découvrirait la vérité.

Lentement, elle releva les yeux vers lui, secoua légèrement la tête en essuyant à nouveau ses larmes. « Il n'est pas au courant, je n'ai pas encore eu le courage de lui dire. Il est sorti du coma il y a quelques semaines. Il se rappelle de moi, il se rappelle de notre histoire, mais il est incapable de ressentir quoi que ce soit et ... Et c'est pire que tout. » avoua-t-elle alors que les derniers mots étaient prononcés tout bas, le coeur gros. « Cillian est un militaire. J'étais avec lui sur la base militaire d'Oklahoma. Il est revenu comme ça de sa dernière mission. » ajouta-t-elle d'une toute petite voix alors qu'elle sentait les larmes lui venir aux yeux, encore une fois. Finn méritait toutes les explications du monde et pourtant, cette guerre avait tellement changé sa vie qu'elle peinait encore à en parler sans s'effondrer. Par comme ça, elle sous-entendait bien évidemment dans le coma, mais elle détestait tellement en parler. « J'étais enceinte de lui, Finn. Je venais de l'apprendre quand ils sont venus me voir pour me dire qu'il ne rentrerait pas à la maison et ... » Elle haussa simplement les épaules en se mordillant violemment la lèvre pour ne pas pleurer. « J'ai eu besoin de quelqu'un ... Près de six mois après. » murmura-t-elle alors qu'elle aurait tellement aimé qu'il la prenne dans ses bras. Qu'il la serre contre lui et qu'il lui dise que ce n'était pas sa faute, même si c'était le cas. Immobile, pourtant, elle n'osait plus faire un geste vers lui, soutenant simplement son regard.

Finn, qui s’était préparé à passer une soirée au calme comme il ne s’en accordait que trop rarement, voyait son programme voler en éclat. Au premier abord, il avait été ravi de voir Nola arriver chez lui et l’espace d’un instant, avait même pensé qu’ils pourraient passer une soirée à discuter entre amis. Mais quelques secondes à peine après son arrivée, le jeune homme avait comprit que tout serait bien différent. En la voyant s’effondrer contre lui, en larmes, il avait présagé du pire et du fait que sa soirée n’allait probablement pas être aussi calme et agréable que prévu. Et en effet, côté révélations, Finn n’avait pas été déçu. Il avait apprit tour à tour que Nola était mariée, qu’elle l’était déjà au moment où ils s’étaient rencontrés et avaient passé la nuit ensemble et pire, que son mari était dans le coma à ce moment là. Totalement perdu, comme s’il redécouvrait une Nola qu’il ne connaissait pas et qui lui avait caché tant de choses, Finn devait lutter pour ne pas exploser. Les larmes dans les yeux de Nola y étaient certainement pour quelque chose d’ailleurs… Car aussi furieux soit-il, il n’était pas sans cœur, et la voir dans cet état-là le touchait bien plus qu’il ne l’aurait voulu. La jeune femme lui avoua qu’elle ne regrettait pas ce qu’il s’était passé entre eux, et cette révélation laissa Finn quelque peu dubitatif. Comment pouvait-elle avancer une telle chose,  alors qu’elle avait trompé son mari ce soir-là ? Et dans les pires conditions qui soient ? Jusqu’ici, Finn avait également été ravi de l’avoir rencontrée mais soudain, il se prenait à en douter. Elle l’avait manipulé depuis le début, en quelque sorte. Elle lui avait caché une lourde vérité, et le pâtissier ne pouvait à présent pas s’empêcher de se demander si elle ne lui cachait pas encore quelque chose. Mais en premier lieu, il prit tout de même le temps de se renseigner sur l’état de santé du mari de Nola, comme pour juger de la gravité réelle de toute cette histoire. « Il n'est pas au courant, je n'ai pas encore eu le courage de lui dire. Il est sorti du coma il y a quelques semaines. Il se rappelle de moi, il se rappelle de notre histoire, mais il est incapable de ressentir quoi que ce soit et ... Et c'est pire que tout. » répondit la jeune femme à voix basse, expliquant que son mari était militaire et qu’il était revenu d’une de ses missions dans le coma.

Forcé d’avoir de la peine pour celle qui était jusqu’ici son amie, et qui avait visiblement souffert bien plus que ce qu’il n’aurait pu l’imaginé, Finn déchanta néanmoins rapidement. « J'étais enceinte de lui, Finn. Je venais de l'apprendre quand ils sont venus me voir pour me dire qu'il ne rentrerait pas à la maison et ... » Cette fois, elle avait prononcé le mot de trop, et le jeune homme fut incapable de retenir sa réaction plus longtemps, si bien qu’il n’écouta même pas la suite du discours de Nola. « Quoi ?! Bon sang Nola, y’a encore des trucs que tu m’as pas dit ?! C’est une blague ! Tu veux dire que… » Il se stoppa pour prendre une inspiration et tenter de se calmer en fermant les paupières quelques instants, puis reprit finalement, toujours aussi remonté : « T’as un enfant ? Est-ce que… quand on s’est connus tu avais déjà… » Imaginant déjà le pire, il n’osa pas aller jusqu’au bout de sa phrase, priant pour qu’elle n’ait rien d’autre à lui annoncer. Au lieu de ça, il s’éloigna en passant ses mains sur son visage, comme s’il voulait se réveiller après un mauvais rêve.

Lorsqu'elle était arrivée chez Finn parce qu'elle n'avait aucun autre endroit où aller, la jeune femme ne s'était pas rendue compte de la complexité de ses révélations. Elle ne prenait conscience que maintenant de tout ce qu'elle lui avait raconté alors qu'il avait ignoré tant de choses de sa vie, et ce depuis qu'ils s'étaient rencontrés, quelques mois auparavant. Elle ne lui avait rien dit, bien sûr, elle n'avait jamais eu le courage de lui dévoiler tout ça parce qu'elle ne voulait pas qu'il ait pitié d'elle. Elle ne voulait pas qu'il la regarde différemment alors qu'elle s'était sentie bien avec lui, qu'elle avait presque eu l'impression de pouvoir être elle-même pour la première fois depuis le départ de Cillian. Mais garder le secret sur sa vie et sur les problèmes qu'elle vivait au quotidien s'était révélé trop difficile à supporter pour ses épaules, déjà affaiblies par le poids de son passé. Elle avait relevé des yeux rougis par les larmes sur lui lorsqu'il s'était énervé, se mordilla la lèvre en prenant conscience de tout ce que ses révélations pouvaient signifier. Il s'énervait et elle pouvait comprendre à quel point c'était difficile pour lui d'écouter ce qu'elle avait à lui dire. Il avait cru la connaître et il se rendait compte que cette femme-là n'était plus du tout la même. Il se rendait compte qu'elle lui avait menti et qu'elle lui avait caché toute la vérité sur son mariage et sur le coma de son mari. Comment pourrait-il ne serait-ce qu'oublier tout ça un jour afin de lui pardonner son comportement à son égard ?

Alors qu'il tentait vraisemblablement de conserver son calme, la jeune femme se mordit la lèvre, ne le quitta pourtant pas des yeux. Et puis, il crut qu'elle avait un enfant et elle comprit qu'elle avait mal expliqué, que ce qu'elle lui avait dépeint de sa situation n'était pas clair. Elle secoua la tête, le laissant aller jusqu'au bout de son interrogation alors que des larmes coulaient à nouveau sur ses joues à ce mauvais souvenir qui la hantait jour et nuit depuis des mois maintenant. « Je n'ai pas d'enfant, Finn ... Je ... » Elle avait laissé échapper ces mots sans saisir qu'elle allait devoir lui révéler la suite, sans réfléchir à ce qu'il allait vouloir savoir. Bien sûr qu'il lui poserait des questions, mais il n'avait donc pas compris qu'elle n'avait jamais grossi ? Que son ventre était toujours resté à peu près plat ?

« Je me suis fait avorter quand je l'ai découvert. » avoua-t-elle dans un murmure en baissant les yeux cette fois-ci, profondément troublée par ses paroles et le sens qu'elle leur avait toujours donné. Elle ne l'avait dit à personne, pas même à Cillian. Les amis de son mari n'étaient pas au courant et elle était allée seule au rendez-vous, avait vécu seule la perte de son enfant. De leur enfant. C'était la première fois qu'elle en parlait à voix haute, qu'elle mettait vraiment un mot sur ce qu'elle avait fait. « Je n'aurais pas pu élever cet enfant toute seule. » ajouta-t-elle finalement en se mordant la lèvre, les yeux rivés sur ses mains, posées sur ses cuisses. Elle avait l'impression désagréable de devoir se justifier parce qu'elle n'avait pas mis cet enfant au monde, parce qu'elle l'avait tué avant même de lui laisser une chance. Lorsqu'elle l'avait découvert, la joie s'était emparée d'elle et ce jour-là, elle était pleinement persuadée que personne ne pourrait jamais lui retirer son bonheur. Cillian reviendrait à la maison parce qu'on n'envoyait pas les papas à la guerre. Elle le retrouverait et ils seraient heureux. Et puis, tout s'était effondré. « J'y pense tout le temps. » murmura-t-elle alors qu'un soupir s'échappait de ses lèvres encore tremblantes.

Finn n’y comprenait plus rien. Il avait beau tourner et retourner ce que Nola lui disait dans son esprit, cette histoire n’avait ni queue ni tête. A vrai dire, il avait reçu un tel flot d’information en si peu de temps que le jeune homme avait bien du mal à remettre chaque chose à sa place. Sans pouvoir se contrôler, il s’était d’ailleurs emporté alors que cela ne lui arrivait que très rarement. Du moins depuis qu’il avait posé ses valises à Myrtle Beach. Mais pourquoi lui avait-elle menti de la sorte ? Pourquoi avait-elle omis tous ses « détails », alors que le leur relation avait clairement glissé du coup d’un soir vers une franche amitié ! Même si ça lui faisait mal, Finn était bien obligé d’avouer que Nola venait de tout gâcher, et ce constat le mettait dans une humeur encore plus massacrante.

Pourtant, malgré la colère qui le gagnait, le jeune homme ne pouvait s’empêcher d’avoir de la peine pour Nola. Et les grands yeux brillants qu’elle fixait sur lui n’arrangeaient rien. « Je n'ai pas d'enfant, Finn ... Je ...  Je me suis fait avorter quand je l'ai découvert. » avoua-t-elle enfin, assénant du même coup un nouveau choc au pâtissier qui baissa les yeux en soupirant. Nola était visiblement bouleversée, et il y avait de quoi. Même si un peu de temps s’était écoulé depuis ces évènements malheureux, Finn pouvait à peine imaginer à quel point la blessure devait encore être douloureuse. Soudain honteux de s’être emporté, mais encore un peu sur la retenue à cause des « mensonges » qu’il venait de découvrir, le jeune homme soupira de nouveau avant de murmurer : « Nola… » Comment pouvait-il bien s’y prendre pour lui montrer que malgré tout, elle pouvait compter sur lui ? Que malgré la colère qu’il avait pu montrer, son épaule était toujours là si elle en avait besoin ? Finn se trouvait tout à coup mal à l’aise, et totalement désarmé devant l’attitude de la jeune femme. « Je… Désolé. J’ignorai que… que tu avais eu à vivre tout ça, je… » Le pâtissier déglutit, avant d’enfin oser relever les yeux vers Nola. « Excuse-moi, j’aurai pas du m’énerver. Je… Bien sûr, j’aurai préféré que tu me parles de tout ça plus tôt mais, au final, je crois comprendre pourquoi tu ne l’as pas fait… » Il ne savait pas vraiment comment exprimer ce qu’il ressentait, et était bien incapable de trouver les mots adéquats pour la réconforter. Alors, comme il l’avait fait un peu plus tôt dans la soirée, il se contenta de s’approcher d’elle pour la prendre dans ses bras, et la serrer contre lui en silence dans l’espoir que ce geste, aussi banal soit-il, puisse lui apporter une aide quelconque.

« Je ne savais pas comment te le dire. C'est pas le genre de chose qu'on peut balancer comme ça, sans émotion. » avoua-t-elle avec un petit sourire pourtant triste. Elle ne réussissait que très rarement à chasser ce bébé dont elle s'était débarrassé de ses pensées puisqu'elle avait toujours cru que Cillian serait le père de ses enfants. Lorsqu'elle posait les yeux sur son mari, désormais, elle imaginait la bouille de cet enfant qui n'avait pas encore eu la chance de naître. Elle se demandait de quelle couleur auraient été ses cheveux ou ses yeux, quelle forme aurait eu son nez, son front, ses sourcils. Un garçon ou une fille ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête lorsqu'elle repensait à ce petit être qu'elle n'avait pas voulu mettre au monde parce qu'elle était persuadée de ne pas être apte à élever seule un gamin alors qu'elle n'avait jamais vraiment su comment faire. Elle avait bien eu un certain modèle parental - sa famille d'accueil - dans sa vie afin de lui montrer comment on devait élever un enfant et ce qu'on devait lui apprendre pour qu'il devienne un adulte accompli, mais on ne lui avait pas appris comment l'aimer, comment lui offrir l'affection dont il avait besoin.  

Lorsqu'il l'attira contre lui pour la prendre dans ses bras, la jeune femme le laissa faire, les yeux fermés. « Ne t'excuse pas. J'aurais dû t'en parler plus tôt. » murmura-t-elle contre lui alors qu'elle bougeait un peu de manière à se caler plus confortablement dans ses bras. Lentement, elle sentit sa respiration se calmer un peu et se calquer sur celle du brun alors que la présence masculine l'apaisait. Il l'entourait de ses bras et elle avait l'impression, pour un court instant du moins, d'être en sécurité. Elle avait cru qu'elle ressentirait exactement la même chose lorsque Cillian reviendrait à la maison, mais en réalité, il l'effrayait. Elle ne le reconnaissait plus, il lui donnait l'impression d'être un homme complètement différent et elle ne savait plus comment cohabiter avec lui désormais. Ses doigts se refermèrent sur le bras de Finn et lentement, elle releva les yeux afin de les poser sur sa mâchoire d'abord, croisant son regard ensuite. « Je peux rester avec toi pour cette nuit ? » demanda-t-elle simplement avant de se blottir à nouveau contre lui lorsqu'il hocha la tête. Elle n'avait pas envie de rentrer, elle n'avait pas envie de retrouver l'homme qu'elle aimait et qu'elle avait perdu.