Family Portrait ~ 6 ans

Tout doit être parfait, ce matin, nous recevons pour le brunch. Comme tous les dimanches… Les Lancaster sont une famille tellement puissante que toutes les semaines, des dizaines d’invités se lèvent rien que pour nous et pour nos viennoiseries. Enfin ça c’est ce que je pense du haut de mes 6 ans. Comment j’aurais pu deviner que ce n’était qu’une histoire d’image et que tout tournait autour du poids du porte-monnaie ? Des copains de mon âge – pas toujours supers gentils – mais la tradition veut que je mette une jolie robe – que je déteste au passage, moi je préfère les jeans… - et que je joue avec tout le monde. Surtout que je reste polie. Mon grand frère ne l’est pas spécialement, lui, et il refuse de jouer avec nous, ses petites sœurs de 6 et 4 ans. On ne se bagarre pas non plus, c’est dommage moi j’aime bien quand ça bouge ^^

- Charlie, ne salit pas ta robe, les invités vont arriver.
- Mais je veux pas mettre ça maman.
- Ma chérie, tu dois être la plus belle. C’est que sont les Lancaster, tu comprends ?
- Je suppose que oui…

Non, je ne comprends pas, mais on ne dit pas non à Maman, maman a le dernier mot et ne nous laisse pas le suivant. Elle est tellement belle ! Je ne lui arriverais jamais à la cheville, même si paraît-il, mon destin est de devenir une femme du monde, comme elle.



Fucking Perfect ~ 15 ans

Je descends les grands escaliers de la demeure presque indécente que nous habitons. Il est clair que le squat auquel je rêve, de la vie en vrac à laquelle j’aspire est très loin de tout ça. Tout ce luxe et et ces apparences. Je commence à en avoir plein le cul de devoir faire semblant parce que ça fait bien devant la cour de pouffiasses de maman, ou bien devant les actionnaires de papa. Tout ce que je voudrais moi, c’est être libre. Oui libre ! Libre de pouvoir dire et penser ce que je veux, vivre comme je l’entends, sans être obligé de rendre à la monnaie de l’oncle Sam une place sociale dont je me fous totalement.
Jean déchiré, t-shirt des Ramones trop court et rapiécé, paire de Converses noires dont on aurait volontiers dit qu’elles viennent de faire la guerre, à peine coiffée, maquillée comme Placebo… Je crois que ma mère va faire une attaque. Et ça ne loupe pas !

- Tu ne comptes décemment pas déjeuner dans cette tenue, Charlie ?
- Pourquoi, y a quelque-chose qui déconne ?
- Oui, ton langage jeune fille. Monte te changer, les collègues de ton père ne vont pas tarder.
- Si tu savais ce que j’en ai à foutre…
- Il est hors de question qu’une souillon s’asseye à ma table.
- Et ben je me mange pas, je me casse, ça règle le problème.

Je quitte la maison en claquant la porte principale. Les cris de ma mère me parviennent à peine. Elle s’en remettra ! J’en ai marre de jouer à la petite fille modèle, je ne le suis pas et je n’adhère en aucun cas à ces foutues conventions. Quel intérêt de se déguiser, de passer pour celle que je ne suis pas ? Elle ne m’aura pas sur ce coup-là… Direction la marina, il n’y a que le bruit de l’eau qui puisse me calmer. Et les trois cigarettes que j’allume sur le chemin.



Stupid Girl ~ 19 ans

Harvard. La graaaaaande université. J’avais plutôt intérêt si vous voulez mon avis. Je viens d’une famille l’intégration d’une fac prestigieuse n’est pas un choix, mais un devoir, et un destin tracé depuis ma naissance. J’aurais pu être attardée que j’aurais quand même été prise pour la simple et bonne raison que je suis une Lancaster. Harvard est loin de chez moi, ça me convient tout à fait. Quand je vois que mon frère avait fait ses preuves à Berkley. Pourquoi ? Par amour de la nana qui se pavane sur la plage et par dégoût du froid et de l’aviron sans doute ? J’ai préféré m’émanciper, lui rester dans les jupes de maman. Son cursus vient de se terminer, le mien commence, on se croise, et c’est très bien comme ça.
La fac est censée sonner la liberté, et je le pensais moi aussi avant de faire connaissance avec mes roomates.

- Ta paire de Jimmy Choo est tellement belle ma chériiiiiie !
- Je te les prête si tu me prêtes cette robe Gucci. Nouvelle collection ? Je ne l’ai jamais vue !
- Création spécialement faire sur mesure. Un cadeau de mes parents pour mon entrée à Harvard.
- Et toi Charlie, qu’est-ce-que tu comptes porter au bal d’intégration ?

Un flingue à la ceinture, un porte jarretelle Victoria’s Secret et un flacon de Lexomil ! Pour abréger mes souffrances… non mais sortez-moi de là. Quand on voit ce que contiennent mes cartons, je me demande si je ne me suis pas planté de chambre. Des vinyles, une guitare, des bouquins. Je ne suis même pas certaine que ces filles savent lire…




So What ~ 23 ans

- Comment ? Mais tu ne penses pas sérieusement à reprendre ce troquet insalubre ma chérie ?
- Si papa, et ce n’est pas un squat, c’est un bar.
- Oui, ou un point de rassemblement pour junkies…
- Je me passerais de ton humour maman.
- Ecoute, tu sors brillamment diplômée d’Harvard, je suis sûr que les propositions doivent se multiplier, tu n’as que l’embarras du choix. Regarde ton frère…
- Je m’en fous papa de l’embarras du choix, c’est pas cette vie que je veux. C’est celle que je me construirais moi-même. Et arrête de me comparer à lui !
- La débauche n’est pas un choix de vie Charlie, c’est une fatalité.
- Et ta vie, une condamnation maman !
- Inutile de débattre, nous n’investirons rien dans ton affaire.
- C’est pas le but papa, je m’en sortirais seule. Et la banque me suit.
- Uniquement grâce à ton nom. Le nom qu’on t’a transmis.

Encore une fois tout est une question de fierté, de réputation. Qu’est-ce-que je peux en avoir à foutre d’être une Lancaster ? Je voudrais pouvoir nouer des liens plus sincères avec mes parents et non uniquement basés sur les frics ou quoi que ce soit d’autre. Je suis dans une famille menée par l’argent et les conventions, j’aime la liberté et la franchise. Incompatibilité totale, ou fatalité, comme dit ma mère…



Nobody knows ~ 25 ans

Papa n’est plus de ce monde, maman est face à la barre, sur le banc des accusés. Trahison ? Passion ? Mensonge ? Je n’en sais rien, personne ne sait, et je vous prie de croire que personne ne saura jamais. Seule elle détient la vérité. Ma petite sœur a fait son choix, mon grand frère le sien, et moi je me retrouve le cul entre deux chaises, comme l’enfant du milieu que je suis. Je ne parviens pas à prendre parti. L’a-t-elle tué ou non ? C’est ma mère, c’est une garce, c’est la reine, la plus grande manipulatrice que ce monde ait pu porter, mais une tueuse ? Je ne sais pas, elle reste ma mère. L’apparente assurance que j’affiche n’est rien finalement, et je ne sais plus qui croire, ni si j’ai envie de croire quelqu’un, ça ne nous le ramènera pas. J’aimais mon père, malgré nos différents, notre vision de la vie diamétralement opposée, mais il restait mon père.

- Non coupable.

La justice en a décidé ainsi, dans mon esprit, je ne décide de rien du tout, elle est libre, mon père est mort et je retourne à ma vie. Mon bar, mes clients, mes concerts et mes foutues questions que j’ignore. Heureux sont les ignorants paraît-il, je n’en suis que plus certaine à présent.